À la suite du Festival Western de Saint-Tite qui a eu lieu en septembre dernier, j’ai réalisé que plusieurs de mes proches allaient encore voir des « spectacles » de rodéo. Si vous me demandez mon avis, j’appellerais plutôt ça un spectacle de souffrances. J’ai donc cru pertinent de ramener à l’ordre ces idées déformées comme quoi le rodéo respecte le bien-être animal, qu’il ne blesse pas les êtres animaux ou même qu’ils sont bien traités.
Tous.tes ne seront pas d’accord, plusieurs me diront comme j’ai à maintes reprises entendu : « Non mais as-tu déjà vu un spectacle de rodéo ? Ce n’est vraiment pas si pire que ça, c’est juste un spectacle », comme si j’avais besoin d’être présente sur les lieux le temps d’un spectacle au complet pour savoir que les êtres animaux utilisés souffrent. C’est beau le déni. Je soutiendrai toujours que rodéo et bien-être animal constituent deux antipodes. Le rodéo aujourd’hui n’a plus sa place autant au plan juridique qu’au plan moral.
Au niveau juridique
Le fameux « sport » de rodéo ne correspond plus avec la nouvelle définition du Code civil du Québec de l’être animal, changée en 2015, décrétant qu’un être animal n’est pas un bien, mais véritablement un être doué de sensibilité et ayant des impératifs biologiques (1). Selon l’article 5 de la Loi sur le bien-être et la sécurité animale (BESA), il relève de la responsabilité du propriétaire ou du gardien de s’assurer de la sécurité et du bien-être des animaux (2). Pourtant, dans le cadre du rodéo, ce n’est ni respecté, ni même appliqué. À quoi sert donc cette nouvelle définition de l’être animal et la Loi BESA si nous continuons à ne pas les respecter et qu’il n’y a presque pas de conséquences ?
C’est dans cette optique que la Communauté Droit animalier Québec (DAQ) a déposé une demande introductive d’instance pour l’obtention d’une injonction permanente à la Cour supérieure contre le Festival Western de St-Tite. Le but étant d’interdire les pratiques de prise du veau au lasso ainsi que celle du terrassement du bouvillon puisqu’ils représentent les êtres animaux les plus vulnérables que l’on retrouve dans le divertissement au Québec. Bien que je dénonce toutes les activités de rodéo dues à l’utilisation des êtres animaux, je dois avouer que certaines activités sont pires que d’autres, dont celles-ci. Il s’agit d’activités qui représentent un mauvais traitement ayant le pouvoir d’affecter la santé d’êtres animaux, et cela a comme conséquence de compromettre leur bien-être et leur sécurité, ce qui contrevient à la loi (3). Ces extraits d’un article de la Communauté DAQ nous offrent une autre perspective sur les activités traditionnelles du rodéo :
« Les veaux sont des bébés. Lors du rodéo, ils sont séparés de leurs congénères pour être confinés seuls dans une chute de départ. ; Ils sont ensuite pourchassés par une personne à cheval. ; Ils sont attrapés en pleine course par un lasso autour du cou qui les arrête d’un coup sec. ; Ils sont étranglés par le lasso et projetés en l’air.; Ils sont par la suite renversés sur le dos et plaqués au sol. ; Ensuite, trois de leurs pattes sont attachées alors qu’ils sont en état de panique. ; Aucune échappatoire n’est possible pour les veaux. Ils ne peuvent d’aucune façon éviter le sort qui leur est infligé : atteinte à leur santé, détresse, douleurs. ; Les veaux peuvent être utilisés à plusieurs reprises lors d’un même rodéo.; Leurs réactions de détresse, aussi violentes que spectaculaires, sont la raison d’être du divertissement tel que le conçoit le rodéo. » (4)
« Les bouvillons sont des adolescents. Lors du rodéo, ils sont séparés de leurs congénères pour être confinés seuls dans une chute de départ. ; Ils sont ensuite pourchassés par une personne à cheval. ; Ils subissent des assauts ayant pour but d’arrêter leur fuite. ; Une personne saute sur eux alors qu’ils sont en pleine fuite. ; Leurs cornes sont empoignées et leur tête est brutalement tordue pour les arrêter ou les faire changer de direction. ; Ils sont brutalement projetés rapidement retournés sur le côté. ; Pour les terrasser, leur cou est violemment tordu dans un angle allant jusqu’à 180˚. ; Aucune échappatoire n’est possible pour les bouvillons. Ils ne peuvent d’aucune façon éviter le sort qui leur est infligé : atteinte à leur santé, détresse, douleurs. ; Les bouvillons peuvent être utilisés à plusieurs reprises lors d’un même rodéo. ; Leurs réactions de détresse, aussi violentes que spectaculaires, sont la raison d’être du divertissement tel que le conçoit le rodéo. » (5)
L’expert vétérinaire Docteur Geoffroy Autenne explique que ces activités ont comme conséquence de causer aux veaux et aux bouvillons d’importantes lésions sur les tissus de la région cervicale, des lésions oculaires et de la détresse respiratoire, et ce, indépendamment des mesures prise par les organisateurs afin de les éviter. Leur santé physique et psychologique est systématiquement affectée dès leur participation à ces pratiques. (6)
Source : Rapport d’expertise du Dr Geoffroy Autenne
Quand on parle de rodéo, on entend très souvent l’argument de la culture, comme quoi le rodéo est une pratique culturelle ancrée dans la culture du country. Cela explique en grande partie la dissonance cognitive par rapport à cette pratique. L’habitude est le frein du changement et le cas du rodéo en est une bonne illustration. Par contre, bien que c’était autrefois considéré comme légitime, le contexte a changé en 2015 avec la nouvelle définition de l’animal. Le rodéo ne respecte plus le droit aujourd’hui, car le bien-être et la sécurité des animaux ne sont pas assurés. Comme le dit si bien le DAQ, « une pratique culturelle du passé ne peut avoir préséance sur la loi » (7). Les humains ont une responsabilité individuelle et collective envers les animaux. Alors, ce n’est pas parce que c’est populaire que ça rend cela légitime ou acceptable autant sur le plan juridique que sur le plan moral. Il faut voir plus loin que le voile de la culture et de l’habitude qui floue notre vision objective de l’activité qu’est le rodéo.
Au niveau moral
Quand on y pense, tout l’aspect du divertissement lié au rodéo repose sur la détresse et la souffrance qu’exprime les veaux et les bouvillons en essayant de s’enfuir et d’éviter les mauvais traitements. Oui, on peut dire qu’ils sont « formés », dans le sens où ils sont élevés strictement dans ce but. C’est là un autre aspect qui peut être grandement dénoncé, car ils ne choisissent pas de participer à leur propre maltraitance, à leur détresse et à leurs douleurs, ils sont contraints à subir ce malheureux sort. Donc bien qu’ils soient élevés pour le rodéo, ça ne fait pas en sorte qu’ils sont faits pour en être victime, ça n’enlève rien à leur véritable douleur. Il faut ainsi voir le rodéo tel qu’il est : une source de souffrance sans limite.
Si votre argument est de dire : « on ne peut plus se divertir », et bien, je vous répondrais que de prendre plaisir de la maltraitance d’êtres vivants est une façon très barbare de se divertir. Il y a des multitudes de façon de pouvoir le faire sans l’utilisation d’êtres vivants non consentants. La preuve : Le Cirque du Soleil. D’autant plus, vous pouvez aimer le country sans participer à la souffrance animale, oui c’est permis, l’un ne vient pas avec l’autre.
Le rodéo correspond à un usage des êtres animaux comme s’ils étaient des objets à notre disposition, or ils ne sont pas nos possessions, même si le droit les traite comme tel. Ils ont des besoins essentiels tout comme les humains. C’est facile de penser qu’il n’y a aucun mal à ces activités quand on est désensibilisé de par notre nature humaine. Pourtant, les animaux ont tout autant de sensibilité et de capacité de vivre le stress. Ils perçoivent la douleur, ont une conscience sensorielle à éprouver des émotions et ils sont capables de percevoir des expériences aversives. Si on revient au récit des activités du rodéo expliquées par le DAQ, qu’est-ce que vous ressentiriez si c’était un humain qui se faisait kidnapper, jeter dans une arène devant des milliers de personnes, dans l’optique d’y faire subir de la torture ? Ça parait moins drôle et plaisant lorsque la victime est un humain n’est-ce pas ? Pourquoi donc ne voyons-nous pas cela lorsqu’on regarde un « spectacle » de rodéo ? C’est pourtant la même chose puisque chaque vie à la même valeur. D’un côté, il est clair que la dissonance cognitive joue un grand rôle, mais d’un autre côté, c’est peut-être également par manque de connaissances au sujet des êtres animaux et de leur sensibilité. Sujet très complexe, je l’accorde, mais tout de même dont bien important à s’informer pour déconstruire toutes ces idées comme quoi les animaux sont là pour nous nourrir, divertir, etc.
Conclusion
Les veaux et les bouvillons (comme tous les êtres animaux) sont des êtres vivants qui méritent notre attention et notre empathie comme tout être humain de cette terre. Ne soyons pas seulement solidaires entre humains, mais plutôt entre êtres vivants pouvant éprouver sensibilité. Et si vous pensez qu’on ne peut y mettre fin, détrompez-vous, il s’agit bel et bien d’une possibilité, la ville de Vancouver compte parmi les endroits dans le monde ayant interdit le rodéo depuis 2006.
Version originale : https://www.pigeondissident.com/archive-2/le-festival-western-de-st-tite-et-la-banalisation-du-rod%C3%A9o
(1) Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, art. 898.1.
(2) Loi sur le bien-être et la sécurité animale, RLRQ, c. B-3.1, art. 5.
(3) Communauté Droit Animalier Québec (DAQ) c. Festival Western de St-Tite Inc., 2022 QCCS (Demande introductive d’instance pour l’obtention d’une injonction permanente), en ligne : < https://daq.quebec/wp-content/uploads/2022/05/2022-05-17_Demande-injonction-permanente.pdf>.
(4) DROIT ANIMALIER QUÉBEC, « Poursuite rodéo – questions/réponses », DAQ Québec, 19 octobre 2022, en ligne : <https://daq.quebec/rodeo/poursuite-rodeo-questions-reponses/>
(5) Id.
(6) Pièce P-13, Rapport d’expertise du Dr Geoffroy Autenne, 20 décembre 2021, p. 7 Communauté Droit Animalier Québec (DAQ) c. Festival Western de St-Tite Inc., 2022 QCCS (Demande introductive d’instance pour l’obtention d’une injonction permanente), en ligne : <https://daq.quebec/wp-content/uploads/2022/05/2021-12-20_Rapport-expert_Dr-Autenne.pdf>.
(7) DROIT ANIMALIER QUÉBEC, « Pourquoi le DAQ accorde-t-il autant d’importance au rodéo sur le plan juridique au Québec ? – Capsule DAQ n˚ 18 », DAQ Québec, 19 octobre 2022, en ligne : <https://daq.quebec/capsules/pourquoi-le-daq-accorde-t-il-autant-dimportance-au-rodeo-sur-le-plan-juridique-au-quebec-capsule-daq-n-18/>