Broyer du noir

Par Aïsha Meera Arulvasagam

Ma vie.

Elle débute avec un infime point rouge, un amalgame de cellules irrégulières à l’apparence insignifiante. L’équivalent d’une poussière sur cette vaste terre, qui aura la possibilité de rapidement devenir Moi, un organisme sentient complexe aux inombrables capacités intellectuelles et émotionnelles.

La vie.

Une expérience éphémère gorgée d’aventures, de plaisirs, de joie et inévitablement, de tristesse et mécontentement à certains moments.

La vie, ce processus biologique et chimique qui nous permet d’être présent pour chérir tous ces petits instants avant que la brise du destin ne nous emporte vers un autre chapitre si appréhendé.

Vivre, aimer, penser, ressentir.

Les yeux fermés, emprisonné dans ma coquille, je m’imagine déjà un avenir prometteur, rempli d’amour et de bien-être. Je me vois courir dans la verdure interminable, le vent m’effleurant le visage, me caressant le corps réchauffé par la lueur matinale du soleil émergeant. Le soir, dans la pénombre envahissante, j’irai me blottir contre ma mère et ma fratrie. La douceur de ce chaleureux instant me plongera dans un sommeil réparateur qui me permettra de profiter du lendemain.

Je rêve à un futur sans supplices, un futur dans lequel je m’épanouirai, un futur rempli de compassion et reconnaissance envers ma personne.

Une faible lumière pénètre à travers ma coquille. Cet endroit m’étouffe, je ne peux plus attendre, je ne veux que sortir et rencontrer ma famille. Des petits coups sur la paroi me permettent de m’extirper vers un nouveau monde que j’envisage bien meilleur.

Une constatation me sidère.

Je suis différent de vous. Je suis si petit, si fragile; je pourrais facilement me blottir dans votre paume et partager la chaleur de mon fébrile corps avec vous. La couleur de mon duvet

s’apparente aux rayons du soleil, qui ne semblent guère être présents ici. Un endroit plongé

dans un blanchâtre éclairement engloutissant. Mes pattes se retrouvent sur une surface lisse et froide; le gazon n’est-il pas censé être verdoyant et agréable au toucher? De nombreux bruits électriques m’assourdissent, le piaillement terrorisé de mes confrères et consoeurs ne cesse de se répandre dans la pièce que je peine à identifier.

Où suis-je? Maman? Papa?

Un tapis se met en branle, me dirigeant vers l’inconnu. Un être géant sur deux pieds me soulève et me lance plus loin. Qu’ai-je fait pour mériter de telles souffrances?

Ma sœur continue son chemin sur cette route fatale automatisée. Quelque chose en moi me dit que son destin sera rempli de tortures. Elle deviendra une machine à ovules, une machine sans droits ni liberté, exploitée sans pitié.

Que me réserve l’avenir, à Moi, jeune mâle naissant?

Je suis différent de vous. Je suis un poussin.

Je suis similaire à vous. Je suis sentient.

Ma vie, nos vies, n’ont-elles guère de valeur?

Pourtant, je vis, j’aime, je pense, je ressens.

Broyant du noir, m’engouffrant vers un entonnoir.

On m’offrira un cruel sort, prédéterminé sans mon accord.

Pourquoi autant de malveillance?

Vers la lumière pulvérisable on m’avance.

Pourquoi si peu de bienveillance?

Un dernier regard lancé.

Vers toute cette machinerie destinée à me tuer.

Un dernier piaillement.

Avant d’être broyé vivant.

Publié par

Comité composé d'étudiant.e.s en droit de l'Université de Montréal ayant pour mission de sensibiliser la société aux enjeux moraux et juridiques concernant les êtres animaux.

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