Critique de livre : Le chagrin des animaux (Barbara J. King)

J’ouvre le bal de la « littérature végane par excellence » avec un essai totalement contradictoire puisque son auteure n’est même pas végétarienne. Je veux vous démontrer, par une voie autre que celle des « intégristes », que les animaux souffrent, ressentent et pensent. Ce sont les premières questions qui me sont venues à l’esprit lorsque j’ai commencé à faire mes recherches sur le végétarisme (alors j’imagine qu’en venant flâner sur ce blog, c’est aussi votre cas). Par hasard (ou était-ce une chance ?), je suis tombée à la librairie sur Le chagrin des animaux de Barbara J. King [1], je m’en suis emparée et je l’ai dé-vo-ré.

 

           

 

J’imagine que vous connaissez tous la fameuse citation d’Einstein circulant sur les Internets : « Tout le monde est un génie. Mais si vous jugez un poisson sur ses capacités à grimper à un arbre, il passera sa vie à croire qu’il est stupide. » Malgré qu’elle fasse partie des nombreux débats sur l’authenticité des citations attribuées à Einstein, elle a tout de même sa part de véracité dans la valeur que l’humain attribue à chaque être. Vous pensez peut-être qu’il est évident qu’on ne peut pas faire passer un test de Q.I. à des singes. Or, vous seriez sûrement surpris d’apprendre qu’une étude de l’Université de Kyoto menée en 2007 démontre que, dans le domaine de la mémorisation, l’humain doit s’incliner devant le singe [2]. Longtemps, l’humain a pensé que les animaux étaient moins intelligents que lui (et même encore aujourd’hui). Pourtant, plusieurs études démontrent que, placé dans le même environnement qu’un autre animal, l’humain serait incapable de survivre. Ce n’est pas nécessairement vrai pour toutes les situations, mais cela démontre néanmoins que l’intelligence d’un animal doit être pris en compte selon des critères différents de ceux utilisés pour juger un humain.

Il semblerait que je m’éloigne du sujet, puisque l’intelligence au sens logique n’est pas prise en compte dans le livre de Mme King : c’est plutôt l’intelligence émotionnelle des êtres qui l’intéresse. Je voulais seulement faire une parenthèse sur la nécessité de « juger » un être vivant AUTREMENT que selon nos propres critères. Or, je ne suis pas une spécialiste de l’intelligence animale comme peut l’être la professeure d’anthropologie du College William and Mary des États-Unis, une anthropologue qui est allée étudier sur le terrain le comportement des singes au Kenya et ceux des réserves d’Afrique et des États-Unis.

Lors de mes recherches sur les animaux, j’en avais assez d’entendre parler des singes bien que les recherches de la primatologue Jane Goodall m’en ont beaucoup appris. On s’entend que ce ne sont pas ceux-ci qui se retrouvent dans notre assiette : je voulais donc savoir si les cochons, les chèvres, les vaches et les poules avaient une vie émotionnelle et peut-être même une vie sociale qui nous étaient cachées par nos facultés humaines restreintes. Ce qu’il y a de merveilleux avec cet essai, c’est son côté impartial. Les véganes purs se révolteront certainement de trouver cet essai sur le site du FEDJA : on ne peut pas, après tout, faire toujours l’unanimité. Je vous propose cette lecture en toute connaissance de cause, en faisant toutefois appel à votre jugement critique. Voilà le premier paragraphe du résumé du livre sur l’arrière de couverture :

« Depuis notre plus tendre enfance, nous attribuons aux animaux des émotions qui ressemblent aux nôtres. Les scientifiques se sont longtemps battus contre un tel anthropomorphisme, considérant que cela limitait notre capacité à comprendre la vie d’autres créatures. Cependant, récemment, les choses ont commencé à évoluer et l’anthropologiste Barbara J. King se trouve au premier plan de ce mouvement. »

N’allez pas croire qu’elle lutte contre cet anthropomorphisme. Au contraire, elle use de son scepticisme envers lui et conclura presque à sa véracité. En donnant une bonne vingtaine d’exemples concrets, elle permet à son lecteur d’ouvrir ses horizons. Elle aborde la question des animaux domestiques : serait-il possible qu’ils ressentent la souffrance d’un autre, ou même celle de ses maîtres ? Elle passe ensuite aux animaux de ferme. Puis, elle aborde la question des animaux sauvages. En passant par les chevaux, les chèvres, les vaches, les éléphants et autres, elle essaie de déterminer à l’aide de situations véritables et observées si ces animaux ont souffert le deuil d’un être cher.

Peuvent-ils reconnaître la dépouille d’un être aimé ?

Peuvent-ils reconnaître les ossements d’un être aimé ?

Peuvent-ils être profondément amis ?

Ont-ils de l’amour les uns pour les autres dans un groupe organisé ?

Peuvent-ils s’aimer même s’ils ne sont pas de la même race (un éléphant et un chien, une chèvre et une vache…) ?

Peuvent-ils être dépressifs ou déprimés ?

Peuvent-ils se suicider ?

À toutes ces questions, elle répond par l’affirmative ! Même si les recherches de l’auteure ne l’ont pas emmené à changer son alimentation, tous les cas abordés présentent tout de même les animaux sous un jour nouveau avec un mode de penser, de voir la vie, autre que celui des humains, mais tout aussi lié aux émotions qui sont propres à l’amitié et à l’amour véritable. Donc, malgré son impartialité et sa quasi-indifférence face à son assiette, Mme King est tout de même une pionnière dans l’avancée des recherches sur le possible (et plutôt plus que probable à mon avis) chagrin des animaux. Elle invoque en nous cette question ultime que les véganes finissent tous par nous poser : « Pourquoi aimer ton chien ou ton chat et manger un autre animal ? » Elle ouvre notre univers mental à vouloir mettre des mots sur un tel comportement nommé le « spécisme »[3].

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Source image : Unsplash

D’un côté, le génie de l’humain et la science démontre que les animaux souffrent physiquement et qu’ils peuvent avoir différentes émotions. L’éthologie démontre qu’ils peuvent avoir une vie sociale et psychologique très développées, certaines espèces dépassant celles de l’humain. De l’autre côté, l’être humain assoiffé d’argent, qui en veut toujours plus, a inventé l’industrie agro-alimentaire, et y a inséré l’abattage de masse. Chaque année, des milliards d’animaux meurent dans la peur ou la souffrance. Je ne dramatise pas. Pour reprendre l’expression de Matthieu Ricard, nous permettons TOUS ce « zoocide ». Car non, bien que l’abattage de masse ressemble étrangement à un génocide, il n’en est pas un : Au contraire, le génocide a comme but d’exterminer alors que le zoocide a comme but la perpétuation continuelle de l’espèce afin de l’utiliser. Et on a le culot de nommer ça le « règne animal » ; j’appelle ça de la barbarie !

Je divague encore parce que Barbara J. King n’aborde aucunement ces sujets. Elle démontre seulement que les animaux pourraient effectivement avoir des émotions similaires à celles des humains, mais  comme l’humain est incapable d’en être certain à 100% grâce à la science, Barbara J. King termine son livre « bêtement » en concluant que les avancées sont nombreuses, mais qu’elle garde personnellement ces distances face à celles-ci. Heureusement que mes cours de littérature m’ont appris à détacher la vie de l’auteur d’un jugement quelconque sur son œuvre !

Pour conclure, j’espère que ce livre vous éclairera autant qu’il m’a éclairé, que vous userez de votre jugement critique, mais aussi que vous prendrez vos responsabilités en tant qu’humain éprouvant de la compassion pour toutes formes de souffrance (le dictionnaire prétend que l’être humain se définit par son haut degré de sensibilité [4]). Rousseau à une phrase merveilleuse qui évoque pleinement, selon moi, l’apparition du véganisme :

« Le spectacle de l’injustice et de la méchanceté me fait encore bouillir le sang de colère ; les actes de vertu où je ne vois ni forfanterie ni ostentation me font toujours tressaillir de joie et m’arrachent encore de douces larmes. » [5]

Et quoi de plus injuste que de demander à un poisson de grimper dans un arbre pour reconnaître son intelligence ? Quoi de plus merveilleux que de reconnaître sa vie sociale développée et sa sensibilité sur-développée comparée à celle de l’homme, et de ne pas user de notre force alors que nous pouvons choisir ? Qu’est-ce qui ferait plus tressaillir de joie une personne paraplégique ? Être reconnue comme un être vivant sensible  ; même chose pour le poisson [6].

Le chagrin des animaux est un petit livre soft de 236 pages remplies d’histoires incroyables mais vraies ; un livre incontournable à mon avis pour tous ceux qui doutent de l’existence d’émotions chez les animaux. Je ne vous laisse sur aucune citation, car alors tout le livre devrait être cité.

 


 

 

[1] King, Barbara J. Le chagrin des animaux. Éditions de Fallois, Paris, 2014, 236 pages.

[2] Waal, Franz de. « Les cerveaux du règne animal », Les Cahiers Antispécistes, septembre 2014 [http://www.cahiers-antispecistes.org/spip.php?article425] (consultée le 26 novembre 2014)

[3] [http://www.youtube.com/watch?v=UQylc0MmNaE]

[4] « Humain ». Dictionnaire Larousse. [http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/humain_humaine/40608] (consultée le 30 novembre 2014)

[5] Rousseau, Jean-Jacques. Les Rêveries du promeneur solitaire. Flammarion, Paris, 1997, p.116

[6] Le but ici n’est pas de comparer d’une façon inadéquate une personne paraplégique avec un poisson, mais plutôt de faire ressortir le fait que tous deux ne peuvent s’exprimer concrètement, mais que ça n’enlève rien à leur caractère d’êtres sensibles.

 

Image à la une : Unsplash

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